Il est plus facile de ne pas regretter ce que nous avions que de ne pas regretter ce que nous aurions pu avoir. Les chimères perdues d’un avenir non vécu sont plus complexes à assumer que la réalité puisque nous fantasmons plus aisément la beauté que la laideur. Il y a des tranches d’âges qui déclenchent cette peur de perdre la possibilité de vivre autre chose. Pour des personnes qui ont commencé une relation très jeune, elle peut survenir à l’approche de la trentaine. Quand se profile la fin de la vingtaine, on se rend compte d’un seul coup que le temps passe plus vite qu’on ne le pensait. L’approche de la trentaine amène l’ombre de la décennie suivante. Pour certains, la trentaine est une période où on doit profiter de la vie et la séduction fait partie des plaisirs inhérents. Ceux-là commenceront à se retourner une dizaine d’années plus tard, en se disant qu’ils n’ont pas grand-chose derrière eux pour le moment. Les femmes y étant encore plus sensibles que les hommes compte tenu du couperet de la ménopause.

La seconde tranche d’âge fatidique pour les couples, est aussi cette fameuse approche de la quarantaine. L’impression qu’il reste si peu de temps à pouvoir user de la séduction et donc à se sentir jeune et vivant, peut devenir une raison majeure de rupture. Même si les choses ont tendance à changer, rappelons que 3 divorces sur 4 sont demandés par la femme (chiffres de 2002). Certaines séparations sont justifiées mais souvent ces ruptures sont issues de l’envie de croire à nouveau au prince charmant ou à la princesse charmante. Elles sont issues de l’envie de revivre un peu de son adolescence perdue. C’est un moyen de renaître, de redevenir quelqu’un de tout neuf aux yeux d’un(e) autre. La séduction n’est vue, à ce moment-là, que comme une promesse de merveilleuses sensations. Oublié le fait que ce n’est pas si évident que ça de trouver un partenaire qui réponde à nos attentes, oublié le fait que cette séduction puisse être porteuse de déceptions cruelles, oublié le fait que même si on retrouve quelqu’un et qu’on vit un jour avec, on retombera forcément sur une part de routine et d’habitudes où la séduction n’aura plus grand place. Quelle est souvent la différence entre l’ex et nouvel amour ? Le dernier est un court ou long métrage que nous n’avons pas encore vu. Une toile blanche sur laquelle on peut projeter nos désirs, nos envies, nos aspirations.

La séduction a perpétuité existe donc parce que le couple n’offrent plus la pérennité et la sérénité d’autrefois. Elle existe aussi parce que le désir de plaire a toujours été là et que les barrières qui l’entravaient sont tombées. Et enfin, elle existe parce qu’elle est pratiquement indispensable pour pouvoir former un couple, ou plutôt des couples, au cours de son existence. Ceux qui la méprisent, réduisent considérablement leurs chances de vivre une histoire avec quelqu’un. Ceux qui ont souffert par elle, deviennent méfiants et fermés, ne sachant même plus être eux-mêmes avec qui que ce soit. Ceux qui l’adulent, papillonnent de fleurs en fleurs, mais ne sont pas eux-mêmes pour autant puisqu’ils ne montrent d’eux que ce qu’ils veulent montrer. Ce n’est pas ce qu’ils sont qui attirent, mais seulement ce qu’ils paraissent être. [suite]

Qui les apprécie pour toutes leurs qualités personnelles ? Qui compose avec leurs défauts ? Qui est prêt à les réconforter lorsqu’ils doutent ? Qui continuera à les voir de la même façon lorsqu’un nouveau cheveu blanc ornera leur tête ou que leur ventre commencera à s’affaisser ? Qui les prendra dans ses bras lorsqu’ils pleureront ou lorsqu’ils auront peur ?

« Mais je ne pleure jamais et je n’ai peur de rien. »
Cette sérénité sera donc à l’épreuve de l’angoisse qui naît à cause d’une douleur persistante localisée aux alentours d’un organe vital ? Ce détachement vaincra les émotions qui peuvent être engendrées lorsqu’on apprend qu’on est atteint d’une maladie incurable ? Cette légèreté sera un rempart contre le miroir lorsqu’il renverra l’image d’un vieil homme ou d’une vieille femme ?

Pour le meilleur et surtout pas pour le pire. Mais le pire, ce ne sont pas les engueulades, les disputes, les bouderies qui peuvent survenir au sein d’un couple. Le pire, c’est ce que tout être humain est amené à vivre un jour : maladie, deuil, accident ou tout autre évènement nous laissant désemparés, affaiblis et bien peu séduisants. Le pire on l’aura forcément, à moins d’être un orphelin n’ayant aucun ami et jouissant d’une santé de fer qui ne s’éteindra que durant un sommeil profond. Le pire, la plupart d’entre nous le vivrons aussi quand la vieillesse deviendra un inconfortable mode de vie imposée par notre horloge biologique.
Quelle importance aura la séduction dans ces moments où nous ne pourrons plus être que nous-mêmes ?
Quelle importance aura l’amour tranquille et entretenu à coups de concessions et de tendresse ?
N’importe quel médecin confirmera que les personnes malades - ou âgées - en couple, vivent plus longtemps que celles qui se retrouvent isolées. Quel futur sommes-nous en train de nous forger à force de vouloir oublier qu’on est biodégradables ? La plupart des gens rétorqueront que justement, c’est pour ça qu’il faut en profiter au maximum tant qu’on est jeune et qu’on a la santé. Logique dans un monde qui sacralise l’instant présent.
La soixantaine ressemble à l’entrée d’un futur brouillardeux et hasardeux, mais un brouillard dans lequel on devra peut-être continuer à vivre pendant 10, 20, 30, voire 40 ans. Soit presque autant d’années que celles consacrées à profiter de sa « jeunesse ». [Suite du sujet]

 
 

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