Les modes de vie d’autrefois ne présentaient pas que des avantages puisque les hommes et femmes mal appariés devaient tout de même passer la totalité de leurs existences ensemble. A côté de ça, il y avait la quasi assurance de ne jamais se retrouver seul. Cette stabilité imposée avait aussi l’inconvénient de favoriser la mise en place de routines pernicieuses et une tendance, plus ou moins prononcée, au laisser-aller.
On se rencontrait, on se fréquentait, on se fiançait, on se mariait, et à partir de là s’enclenchait un mécanisme bien huilé : sweet home, boulot, enfant, enfant… départ des enfants, vieillesse. Au niveau des statuts ça donnait ça : jeunes mariés, mariés, parents, grands-parents, arrière-grands-parents, game over. Le démon de la quarantaine frappait quelques fois, permettant à certaines ou certains infortunés de se voir nantis en plus du statut de cocu.

En 2005, les couples se font et se défont. Enfants de tout âge, biens matériels, mariage ne représentent plus de réels obstacles pour faire imploser un binôme. Si le couple n’a rien de tout ça en commun, sa mort peut survenir en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Le syndrome de la consommation a atteint ce domaine, bousculant du même coup le fonctionnement des hommes et des femmes.
Mais si nous ne sommes plus enchaînés l’un à l’autre, d’autres chaînes se sont insidieusement créées. La différence la plus importante est que ces nouvelles chaînes, nous les portons seuls.
Avant ce bouleversement, la période de séduction était relativement courte. On pouvait cumuler quelques petites aventures de jeunesse, puis on se casait. Les célibataires endurcis étaient rares. Aujourd’hui la séduction n’a pas d’âge et tout relâchement peut être sanctionné alors qu’on s’y attend le moins. Il faut séduire et être attirant lorsqu’on est libre, il faut l’être aussi quand on est en couple. Et si vous n’êtes pas séduisant quelqu’un d’autre le sera à votre place, que ce soit dans la vie réelle ou sur internet.

Mais qu’est-ce que la séduction ? Elle ne se rapporte pas uniquement à l’apparence physique et aux vêtements. Le comportement est évidemment une donnée importante. Quand on lit des annonces sur des sites rencontres, un fait est frappant et logique : les gens ne listent que les qualités qu’ils souhaitent trouver chez l’autre et/ou les défauts dont ils ne veulent pas. Arriverait-on à séduire si on se montrait tel quel dès le départ ? Ce n’était pas vrai avant, ça ne l’est pas plus maintenant.
Seulement la différence c’est que maintenant l’effort est à soutenir sur un temps beaucoup plus long et de manière plus intense. Certains vont s’offusquer en disant qu’ils restent toujours eux-mêmes, je leur réponds que c’est impossible. On n’est pas plus soi-même au début d’une relation qu’on est soit même au début d’une amitié. Et même si la relation fait suite à une amitié, il y aura forcément des facettes de nous-même que l’autre ne connait pas encore. [suite]

Mais être séduisant et attirant tout le temps c’est fatiguant, à moins qu’on soit touché par la grâce divine ou que ce soit un état naturel. Ou encore, qu’on n’ait pas une semaine de boulot bien crevante à gérer.
S’affaler dans son canapé en tenue décontract’ pour manger tranquille un truc préparé vite fait, ça fait partie des moments où on est soi-même. Passer une soirée avec ses potes en buvant de la bière, ça fait partie des moments où on est soi-même. Avoir envie de se faire une partie de jeu vidéo, ça fait partie des moments où on est soi-même. Passer l’aprèm à se faire sa coloration, un gommage et masque au concombre ça fait partie des moments où on est soi-même. Regarder le grand prix de F1, ça fait partie des moments où on est soi-même.
La séduction suppose d’être deux, or la plupart des homo sapiens aiment bien aussi avoir des moments pour eux et pour faire ce qu’ils aiment.

Lorsqu’on vit ensemble, chacun a pu se créer un espace personnel à la maison. Vous pouvez très bien regarder votre émission préférée à la télé pendant que l’autre surfe sur internet. Aucun des deux, à moins que ça devienne une habitude, ne trouvera à redire au fait que pendant quelques heures l’autre préfère se faire plaisir plutôt que de passer du temps enlacés, à discuter les yeux dans les yeux ou à pratiquer une activité en commun. En période de séduction, les données sont très différentes. On est plus attentif aux ressentis, aux envies et aux besoins de l’autre. Le même cas de figure serait donc impossible à reproduire si les deux personnes se voient une ou deux fois par semaine. Ça paraîtrait une aberration, un manque d’égard. On se voit, on profite du temps passé ensemble, puis on retourne à ces moments où on est soi-même. Globalement au départ, les hommes sont plus enclins à protéger leurs moments à eux et les femmes plus enclines à essayer de partager le plus de choses à deux. Les deux méthodes sont discutables. Celle des hommes leur permet de garder le plus longtemps possible les moments où ils sont eux-mêmes tout seul ou entre potes, celle des femmes permet plus rapidement de faire en sorte que chacun soit lui-même dans le couple. Ce qui peut amener, quelques fois, à gagner un temps fou, au lieu de laisser traîner une histoire qui ne convient à personne. [Suite du sujet]

 
 

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