PAS VU PAS PRIS
Oui mais pas vu par qui ? L’anonymat d’internet est relatif, de plus en plus de gens se rencontrent et vont les uns chez les autres. Et pourtant, certains comportements restent très webiens.
Quel homme oserait séduire une bonne partie de ses collègues de travail, coucher avec puis ne plus jamais leur adresser la parole ? Quelle femme serait prête à allumer ouvertement les hommes de son village en leur parlant de ses préférences et pratiques sexuelles puis se donner rapidement à certains d’entre eux ? Quel papa, célibataire ou non, questionnerait l’institutrice de son enfant pour savoir si elle est fidèle et si elle est coquine ? Quel jeune homme arriverait à aborder sa boulangère, de 25 ans son aînée, en lui disant qu’il a envie d’une femme mûre.
Toute personne équilibrée répondra avec véhémence : « Pas moi en tout cas ! ». Avec la vulgarisation d’internet, il devient évident que cette réponse n’est pas toujours issue d’une morale personnelle. Car, c’est surtout la morale sociale qui fait que ces attitudes provoqueraient de l’incompréhension, du mépris voire un rejet pur et simple. Et l’homo sapiens étant de nature sociable et aimant la vie en groupe, rien n’est pire pour lui que le rejet.
Transposons maintenant le concept en sortant de la sex attitude et de son côté sulfureux malgré la libération des moeurs. Imaginez que vous puissiez vous téléporter instantanément et régulièrement dans un pays où il n’y a aucune loi, sauf celles concernant l’atteinte physique des personnes. Dans ce pays, vous n’avez qu’un risque sur des milliers de croiser quelqu’un qui vous connaît bien et même si c’est le cas ce quelqu’un sera aveugle à vos agissements. Au départ, vous restez vous-même, et donc vous payez consciencieusement tous vos achats. Puis, vous vous apercevez que d’autres ne le font pas, qu’ils prennent des marchandises sans se préoccuper de la mine attristée des commerçants et rentrent dans leurs propres pays en toute impunité. Mieux encore, il y a même des commerçants qui font tout pour que vous leur voliez des articles en espérant que vous les aimerez pour ça et que vous reviendrez les voir.
Combien de temps résisterez-vous si votre morale est plus sociale que personnelle ?
Evidemment la métaphore est grossière mais elle permet de comprendre à quel point l’anonymat social (et non pas l’anonymat visuel) peut modifier certains comportements. Le phénomène du mimétisme, mis également en avant dans cet exemple, sera abordé une autre fois.
Chaque société est un ensemble complexe et structuré d'individus liés entre eux par les mêmes usages, les mêmes lois et par des rapports durables et organisés. C’est un ensemble complexe parce qu’une société est composée elle-même de plusieurs communautés et que chaque individu appartient à plusieurs d’entre elles. Il y a les communautés professionnelles, familiales, amicales, associatives, culturelles, etc.
De la définition de la société, ce sont les usages et la notion de liens qui sont à retenir ici. Les usages parce qu’ils vont souvent de pair avec les conventions morales et les liens parce que ceux-ci ne peuvent exister que par la communication. Et bien sûr, cette communication doit permettre à tous les membres d’une société et/ou d’une communauté d’avoir accès aux informations concernant cette société et/ou cette communauté.
Tout le monde suit ?
La réaction de rejet, face à des comportements en dehors des normes d’une société, est issue de cette communication communautaire offrant à tous la possibilité d’avoir connaissance des faits de ses membres.
Voici un exemple pour appuyer l’importance du rôle de la communication et celui du concept d’anonymat social. Je vous présente deux de mes amis. Voici Emmanuel Martin et voici Bernard Cantat… avec lequel vous sentirez-vous le plus à l’aise pour entamer une discussion immédiatement ? Et pourtant, Emmanuel Martin - personnage fictif - a vécu aussi une histoire douloureuse à l’issue tragique et tué une femme en perdant le contrôle de lui-même. La seule différence c’est que vous ne le savez pas. [suite]
Sur un site de rencontre, vous pouvez commencer à discuter avec un collectionneur qui cherche uniquement à sauter le plus de filles possible par tous les bouts, vous ne le savez pas… et sa maman non plus ne le sait pas, pas plus que ne le sait l’institutrice de sa fille qui croit au respect et à l’amour et qui trouve que c’est un papa formidable et attentionné.
Vous pouvez également tomber sur une femme qui avance rechercher une histoire sérieuse et stable, et qui, en fait, accumule les aventures pour se rassurer sur son pouvoir de séduction. Une femme capable de donner tout d’elle dans les quatre heures qui suivent le premier contact virtuel pour si peu que son correspondant soit un queutard de première, vous ne le savez pas… et son père non plus ne le sait pas, pas plus que ne le sait son employeur catholique pratiquant qui la tient en haute estime pour ses compétences professionnelles.
Est-ce que les qualités paternelles de l’un et les qualités professionnelles de l’autre peuvent être remises en cause par leur manière de vivre leur séduction et leur sexualité via internet ? Dans l’absolu non, et tout le monde vous dira que chacun vit sa vie comme il l’entend. Reste que cette institutrice et cet employeur ne les percevraient plus de la même façon s’ils savaient.
Et s’ils savaient, ne seraient-ils pas tentés de faire part de leur découverte à d’autres membres de leurs communautés qui seraient tentés d’en parler à d’autres membres d’autres communautés ? L’humanité a inventé la réaction en chaîne bien avant de savoir que l’atome existe, et plus l’aura sociale d’une personne est grande, plus les retombées peuvent être importantes. Mais qu’on soit président de la république ou simple employé dans une usine, on aime autant vivre sans le mépris des gens qu’on est amené à côtoyer.
Les atmosphères cloisonnées des chats et des sites de rencontres modifient les comportements parce que quel que soit ce qui est dit ou ce qui est fait via ces espaces virtuels, on ne risque pas de réaction de rejet d’un groupe. Et il n’y a pas de rejet parce qu’il n’y a pas de groupe. A chaque nouvelle connaissance, on redevient un être tout neuf. On peut d’ailleurs se demander si ce n’est pas chercher à s’oublier soi-même que de se complaire dans cet anonymat social récurrent. Mais ça, c’est une autre histoire.
Ce n’est donc pas internet seul qui induit et stimule les modifications comportementales mais certains outils excluant la possibilité de former une communauté. Des outils rassemblant des millions de gens qui n’ont aucun moyen de se structurer, de s’informer et de communiquer en étoile.
Reste à savoir si l’homo webiens a vraiment envie de voir se transformer les sites de rencontres en des endroits qui ne permettraient plus d’échapper totalement aux usages et aux conventions morales.
Par Jesabeth
Le 14 août 2005 à 13:52
Homo webiens webiens
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